Autonomie, justice et solidarité: l’actualité de la sociologie durkheimienne

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University of Florence
3 min readNov 16, 2020

Pour ceux qui estiment que la sociologie durkheimienne vaut bien «une heure de peine», c’est sans doute pour la même raison que celle évoquée par Durkheim à l’égard de ses propres recherches, soit qu’elles peuvent «aider à trouver le sens dans lequel nous devons orienter notre conduite, à déterminer l’idéal vers lequel nous tendons confusément» (Durkheim 1893 [1986]: XXXIX). Plusieurs relectures actuelles de Durkheim souscrivent à cette visée en dégageant comment son œuvre peut précisément nous aider à saisir socio-logiquement les aspirations contemporaines d’autonomie (Callegaro 2015), de justice et de solidarité (Karsenti et Lemieux 2017), de créativité ( Joas 1992 [2008]) et de liberté sociale (Honneth 2011 [2015]), tout autant que les voies et les obstacles à leur accomplissement.

Ces travaux, et tant d’autres pour qui l’œuvre de Durkheim demeure profondément actuelle, nous donnent à penser «cette heure de peine» en termes de kairos, ce «mot grec [qui] désigne l’apti-tude à saisir l’occasion opportune pour une action efficace dans le maquis des circonstances, à la lumière du raisonnement et du savoir»2. Nous serions ainsi dans un kairos durkheimien, un moment où l’œuvre de Durkheim apparaît de plus en plus opportune pour saisir notre époque. À propos de l’importance toujours actuelle des fondateurs de la sociologie auxquels est évidemment as-socié Émile Durkheim, le sociologue québécois Fernand Dumont a rappelé

[qu’] on ne comprend vraiment ces auteurs qu’en les rapportant aux pro-blèmes de leur temps. Mais s’ils nous parlent encore, que nous sommes toujours concernés par leur recherche, ce doit être parce que de nous à eux, par dessous la différence de conjonctures et de lieux, une même situation historique plus fondamentale nous tient ensemble, de même que subsistent de grandes inter-rogations toujours vivantes aujourd’hui (Dumont 1990: 11).

De cette situation historique fondamentale évoquée par Dumont, on re-tiendra ici celle dont l’interrogation porte sur notre identité de «moderne» comme projet…inachevé (Habermas 1981). En effet, devant les avancées de l’individualisme issu de «ce libéralisme du XVIIIe siècle» (Durkheim 1898 [1970 ]: 265), Durkheim a rappelé l’importance que son déploiement devait se poursuivre: «Il s’agit de compléter, d’étendre, d’organiser l’individualisme, non de le restreindre et de le combattre. Il s’agit d’utiliser la réflexion, non de lui imposer le silence» (Durkheim 1898 [1970 ]: 277 [notre italique]).

Ainsi, Durkheim interpelle-t-il -dans ce texte consacré à l’individualisme- à défendre non seulement les acquis de l’individualisme moderne, notamment les libertés-droits déjà institutionnalisés, mais surtout à dégager la nécessité de son dépassement/accomplissement par une réflexion proprement sociologique, donc à faire advenir une conception sociale de l’individu, de son autonomie et de sa liberté. Dans la première section de notre texte, nous suivrons donc la consolidation de cette conception que l’on peut qualifier à la suite de Karsenti, d’«individualisme sociologique» (Karsenti 2006: 29–33).

On le fera en deux temps, d’abord par un retour sur la notion d’autonomie telle que développée dans L’éducation morale, ensuite par l’usage de la formule «la personne, source autonome d’action» dans la Division du travail social et dans les Formes élémentaires de la vie religieuse. Dans la deuxième section, nous nous attarderons à la normativité sociale qui est corolaire à cette figure de l’individualisme sociologique, celle qui sourd de la dynamique même de la division du travail et qu’expriment les idéaux de justice et de solidarité qui y sont encastrés. Suivant la relecture qu’en fait aujourd’hui A. Honneth, nous pointerons le fait que la sociologie durkheimienne n’est pas que descriptive/explicative, mais qu’elle a aussi une portée critique. C’est parce que celle-ci est pleinement assumée dans les relectures actuelles que nous conclurons en revenant sur «l’heure de peine» que vaut bien encore aujourd’hui la sociologie durkheimienne.

DOI: https://doi.org/10.13128/SMP-21284

Read Full Text: https://oajournals.fupress.net/index.php/smp/article/view/10532

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