Daguerréotype et calotype : la restauration de Notre-Dame de Paris
From Firenze University Press Journal: Restauro Archeologico (RA)
Barbara Mazza, Chercheuse indépendante
C’est en mars 1831, avec la publication de son roman Notre-Dame de Paris, que Victor Hugo commence à sensibiliser les parisiens et les autorités publiques à l’urgence de la nécessité du sauvetage de la cathédrale Notre-Dame de Paris. En 1842 un groupe d’écrivains et artistes, dont Victor Hugo, Alfred de Vigny et Auguste-Dominique Ingres, signent même une pétition pour faire avancer les choses.
En effet, depuis 1819 c’est l’architecte Étienne Hippolyte Godde (1781–1869) qui est chargé de la restauration de la cathédrale, mais n’étant pas un architecte spécialisé dans la période gothique il n’est pas très apprécié par le ministre de la Justice et des Cultes qui semble avoir un protégé, l’architecte Jean-Jacques Arveuf (1802–1876). En octobre 1842, c’est donc Arveuf qui est chargé par le ministre de proposer un pro-jet de restauration de la cathédrale et en même temps un projet pour la nouvelle sacristie.
Peu après, Jean-Baptiste-Antoine Lassus (1807–1857) demande au plus jeune Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814–1879) de le seconder pour s’engager également dans le concours. Un quatrième architecte, Jean-Charles Danjoy (1806–1862) demande à son tour à participer au concours. Lassus et Viollet-le-Duc sont les seuls à rendre le projet dans les temps, le 31 janvier 1843. Danjoy attendra le 10 mars et Arveuf le 31 mars 1843 avec deux mois de retard.Pour le travail préparatoire des projets de restauration de la cathédrale, tous les architectes impliqués font recours à la daguerréotypie.
Lassus et Viollet-le-Duc font réaliser trois daguerréotypes par Noël-Marie Paymal Lerebours (1807–1873) et dix par l’ingénieur opticien Marie-François Kruines (1799–1866). Danjoy en fait réaliser trois. Quant à Arveuf ça n’est pas moins de dix-sept daguerréotypes qu’il demande à Kruines. Aucun de ces daguerréotypes ne sont joints aux dossiers déposés au ministère de la Justice et des Cultes, et à ce jour pas un seul n’a été retrouvé.
L’œuvre daguerréotypique de l’opticien Kruines semble particulièrement importante mais elle est méconnue, et à ce jour, seulement quatre daguerréotypes5, tous des portraits, signés par lui, ont été identifiés. Fabricant d’instruments de mathématiques, d’optique et de physique (Durand, 2015), il gagne en 1834 la médaille de bronze à l’Ex-position des produits de l’industrie française pour l’invention de “[…] microscopes d’une construction particulière […] [qui] ont le double mérite d’être fort bien exécutés […] et d’être livrés au commerce à des prix très modiques» (Dupin, 1836, chap. XXIX, p. 256–257). Le père, Pierre-Christian-Mathias Kruines ( ?-1843), était également opticien et tenait également boutique au 61 quai de l’Horloge où il résidait.
En 1809, l’Almanach du Commerce à Paris répertorie pas moins de 37 “Opticiens et Lunetiers” dont près de la moitié se trouve quai de l’Horloge : Chevallier n°1, Duval-Des-tin n°9, Hazard n°11, Boucher n°13, Tondu (Marie Henri François) n°39, Bodson n°53, Gos-set n°55, Kruines n°61, Buron n°65, Chevallier fils n°67, Béguinot n°69, Touzet n°73, Rochette père n°75, Favray n°79, Jardin n°81, Putois et comp. N°81, ainsi que Lerebours n°13 place du Pont Neuf. Kruines, célibataire, sans descendant, institue à son décès Eulalie Lemonnier, veuve de Claude-Marius Rambaud, fabricante d’instruments d’optique, héritière universelle, et désigne son fils, Marius Rambaud, légataire de ses meubles. Kruines est aussi spécialisé dans la construction de chambres claires (Comptes…, 1837).
Viollet-le-Duc utilisait régulièrement la chambre claire pour ses dessins d’après nature ; on retrouve d’ailleurs dans ses livres de dépenses l’achat, en août 1842, d’une «chambre claire et étui» ainsi que des règlements à des factures de Kruines. Il faut remarquer qu’en plus d’utiliser la chambre claire, Viollet-le-Duc a aussi, depuis son plus jeune âge, ce qu’on pourrait appeler un œil photographique, comme il est évident, pour faire au moins un exemple, dans la solution des lignes et des ombres du dessin de l’intérieur de l’église de San Miniato al Monte à Florence, exécuté en juin 1836 pendant son voyage de formation en Italie. On retrouve encore plus un effet photographique, déjà avant l’invention de la photographie, dans l’usage de la couleur et des ombres dans la réalisation des relevés et des dessins de projet conduits sous sa direction. Les factures détaillées de Kruines permettent de dresser la liste des prises de vue de-mandées par les architectes de Notre-Dame. Les reprises concernent les portails et leurs détails, les tympans, les battants et les voussures. Aucune vue d’ensemble ne semble avoir été réalisée par Kruines.
DOI: https://doi.org/10.13128/rar-8865
Read Full Text: https://oaj.fupress.net/index.php/ra/article/view/8865