«Le plus libre et le plus doux de tous les actes n’admet point de violence réelle»: consentement et viol dans Émile, ou De L’Éducation
From Firenze University Press Journal: Diciottesimo Secolo
Elena Muceni, Università degli Studi di Milano Statale
Tout ouvrage philosophique recèle des considérations plus téméraires que d’autres par rapport aux croyances des lecteurs, aussi bien que par rapport à la sensibilité de l’auteur. Dans plusieurs textes de l’époque moderne, la nature problématique de certains passages est implicitement signalée par les change-ments, que l’on peut relever entre les éditions, imposés à la narration par l’au-teur, de gré ou de force, souvent dans le but de parer ou de rejeter des objec-tions. Or, des altérations significatives de la pensée peuvent intervenir déjà au cours du procès de création d’un écrit: les symptômes de ce genre d’évolution sont parfois détectables dans la préhistoire éditoriale, pour ainsi dire, d’un texte, à travers la comparaison des formes provisoires qui précèdent la version que l’impression figera à jamais et livrera au public. Certains folia manuscrits exhibent d’ailleurs les stigmates d’une espèce d’hésitation au cours de la rédac-tion et racontent, à travers les ratures, les corrections et les variantes, d’abord un recul, puis un retour sur le choix des mots et des formules, qui trahissent un désarroi transitoire de l’auteur dans l’épanchement de ses pensées. C’est précisément une de ces pages torturées d’encre et qui a subi, au fil du temps, plusieurs métamorphoses, aussi bien formelles que substantielles, que nous nous proposons d’examiner ici. Il s’agit d’une page sortie de la plume de Rousseau, placée dans le livre V d’Émile, qui contient une digression sur l’amour phy-sique, touchant notamment aux modalités d’interaction entre désir masculin et désir féminin2, et qui finit par impliquer les questions controversées du consentement et du viol. À partir de la reconstruction des étapes génétiques de cette page — dont l’évolution va à l’encontre de la tendance à l’autocensure qui préside normalement au processus de préparation d’un écrit pour la publication — nous allons essayer d’expliciter les notions et les références qu’elle mobilise. En évoquant des éléments qui permettent une contextualisation historique et culturelle, nous allons montrer la criticité des réflexions qu’elle véhicule, susceptibles, aujourd’hui encore, d’interpeller le chercheur et le lecteur, en raison de l’actualité de leur objet.
DOI: https://doi.org/10.36253/ds-15045
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