L’empire à la fin du Moyen Âge : idées pour une déconstruction

From Firenze University Press Journal: Reti Medievali

University of Florence
3 min readApr 25, 2024

Éloïse Adde, Central European University

Michel Margue, Université du Luxembourg

L’Empire (et les grands pouvoirs universels) serait en perte de vitesse à la fin du Moyen Âge du fait de l’affirmation des différents États (et nations) qui le composent. Dans ce contexte, l’Italie aurait définitivement échappé à l’influence d’un Empire de plus en plus centré sur son centre germanique (conformément à la construction nationale des entités politiques). D’ailleurs, l’humanisme, inspiré des classiques et l’idée de res publica, aurait été en op-position avec la nature même de l’empire. Telles sont les idées reçues, bien ancrées, que le volume dirigé par Anne Huijbers entend déconstruire pour proposer une lecture plus nuancée et appropriée des rapports entre l’Empire et l’humanisme italien à la fin du Moyen Âge.Fruit d’un colloque organisé en novembre 2018 à Rome dans les locaux (et avec le soutien de) l’Institut néerlandais et édité aux Publications de l’École française de Rome, Emperors and imperial discourse in Italy(1300–1500)situe sa réflexion dans le champ de l’histoire des idées et plus précisément de la théorie politique à la fin du Moyen Âge en se concentrant sur les discours impériaux dans les écrits d’historiens, d’humanistes et dans une moindre me-sure de juristes et de notaires italiens. L’approche est donc globale et vise la culture politique au sens le plus large possible.En s’ouvrant sur le cliché de l’éloignement de l’Italie par rapport à l’Empire après la mort de Frédéric Ier Barberousse, l’introduction de l’éditrice donne le ton : ce sont les idées reçues qui seront passées au crible dans ce volume, mais le but est de restituer au plus près la culture politique de l’Italie des XIVe et XVe siècles. La déconstruction des associations contre-productives n’est donc pas gratuite mais doit permettre de refonder l’analyse des liens entre Empire et Italie, entre idée impériale et humanisme. D’ailleurs, dans son bref aperçu historiographique, l’éditrice souligne qu’avec les travaux de Cary Nedermann (1993) et surtout Alexander Lee (2018), ces liens avaient déjà bien été démon-trés. Suit un article introductif dans lequel Len Scales montre, non seulement que les rapports entre Italie et Empire ne se sont pas relâchés, mais qu’ils se seraient même intensifiés, au XIVe siècle. Comme il l’indique, ces rapports se sont simplement reconfigurés à la faveur de la transformation de la société en général. Si les empereurs ne cherchaient plus à exercer une “véritable domi-nation” en Italie, ils continuaient à légitimer et à déléguer le pouvoir politique en Italie. Le pays constituait en effet une source importable de revenus et de prestige / légitimation politique.Le volume est alors organisé en trois parties. La première, Imperium and res publica: conflict or harmony?, explore les significations et usages des termes imperium et res publica sous la plume de figures du XIVe siècles comme Cola di Renzo et Fazio degli Uberti. Cette partie aborde donc le para-doxe apparent (et superficiel) entre les deux notions pour montrer que les em-pereurs étaient souvent thématisés en défenseurs de la res publica et du bien commun. Carole Mabboux se concentre sur la notion de res publica et montre que le terme, mobilisé dans des textes communaux comme pro-impériaux, renvoyait à une exigence morale et non pas à un régime d’État en particulier. Anna Modigliani explique quant à elle que Cola di Rienzo n’entendait en rien faire revivre le passé républicain de Rome lorsqu’il mobilisait le concept de res publica, mais espérait par ses écrits parvenir à ramener l’Empire à Rome tout en adoptant de plus en plus nettement la posture de sa propre investiture impériale. Juan Carlos D’Amico examine un long poème écrit en langue vernaculaire dans lequel l’auteur, Fazio degli Uberti, révère le modèle traditionnel d’un monde gouverné par les deux pouvoirs universels. Les différentes contributions montrent que la figure de l’empereur était convoquée pour la défense des libertés locales et que l’idée d’empire n’était donc en rien antithétique avec les libertés locales et les aspirations des villes italiennes à se gouverner ellesmêmes.

DOI: https://doi.org/10.6093/1593-2214/10285

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