Les monnaies alternatives à Paris au XVe siècle, d’après les transactions d’un atelier de couture
From Firenze University Press Book: Alternative currencies. Commodities and services as exchange currencies in the monetarized economies of the 13th to 18th centuries
Julie Claustre, Panthéon-Sorbonne Paris 1 University, France
- Introduction
L’étude qui suit est centrée sur l’atelier d’un acteur économique, le couturier Colin de Lormoye, qui était actif à Paris entre 1420 et 1455, sur la rive gauche de la Seine, entre l’abbaye Saint-Germain-des-Prés et l’église Saint-Séverin. L’analyse monographique des paiements en nature effectués dans sa boutique permet en effet d’examiner plusieurs hypothèses d’interprétation que les historiens formulent usuellement pour comprendre le recours aux paiements non monétaires dans les transactions économiques, un recours très fréquent, y compris chez des marchands professionnels (Dyer 2012, 93–95). Il s’agit donc de mener une microéconomie historique d’un atelier et des moyens de paiement en usage dans celui-ci, afin de tenter de révéler certains des motifs qui présidaient au choix du non-monétaire dans une économie hautement monétarisée. On arguera ainsi qu’une approche microanalytique est un complément nécessaire des analyses macrohistoriques fondées sur des séries de données quantitatives. Après avoir présenté rapidement la source principale de cette étude, le livre de boutique de Colin de Lormoye, on examinera les paiements en nature acceptés par le couturier, puis ceux qu’il effectuait lui-même. Afin de dessiner quelques inteprétations de ces comportements économiques, on tentera de répondre à plusieurs questions: ces paiements en nature reflètent-ils les besoins du couturier? Les nécessités de ses clients? Leurs opportunités respectives? Sont-ils liés à des contextes économiques spécifiques, qu’ils soient commerciaux ou monétaires?
2. Le livre de boutique de Colin de Lormoye
Si le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France sous la cote NAF 10621 est le seul livre de boutique d’un Parisien conservé pour la période antérieure à 1500, il est en réalité le témoin local d’un type d’écrit de gestion qui s’est diffusé dans la population urbaine européenne au cours du XIVe siècle. En effet, bien connu et abondamment étudié dans les groupes marchands, l’écrit de gestion a concerné aussi dans ces siècles les groupes des artisans et des petits boutiquiers (Klapisch-Zuber 2001; Coulet 2004; Piccini 2008; Meneghin 2014, Pinelli 2015), voire des paysans (Balestracci 1984; Hautefeuille 2006). Il n’y a donc pas lieu de s’étonner de la tenue d’un tel livre par un couturier de Paris, qui a d’ailleurs son équivalent conservé à Florence pour les mêmes décennies de la première moitié du XVe siècle (Collier Frick 2002, 65). Il s’agit plus exactement des vestiges du livre de boutique de Colin de Lormoye. En effet, réutilisé, après la mort de son auteur, comme renfort de reliure d’un livre imprimé, le livre initial a été largement amputé de son contenu. Lors de sa découverte en 1907 dans la reliure d’un imprimé de la Bibliothèque nationale de France, le conservateur Camille Couderc en a retiré des fragments qu’il a réunis en 34 feuillets (Couderc 1911).1 On y trouve le texte plus ou moins étendu de 191 notices de différents types, dont nous avons récemment proposé une édition revue et corrigée (Claustre 2021).
DOI: 10.36253/979–12–215–0347–0.29
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