Milieu et peuples. Entre les traités hippocratiques et Aristote
From Firenze University Press Book: Nazioni come individui
Catherine Darbo-Peschanski, CNRS, French National Centre for Scientific Research
Sur quoi les Grecs anciens des Ve et IVe siècles avant notre ère (les auteurs de certains des premiers traités médicaux dits « hippocratiques » et Aristote, pour ceux qui nous occuperons ici), s’appuient-ils pour penser les peuples et, de façon plus élémentaire, tout être humain qui forme l’unité de base de ceuxci? Nous dirons, pour parler très généralement, qu’ils articulent des notions impliquant la cosmologie, l’astronomie et ce qu’ils appelaient l’étude des « météores » (μετεωρολόγικά, selon le nom d’un traité d’Aristote), cela pour aboutir à l’éthique et à la politique.
Climat, milieu, continuité Parmi ces notions ne figure pas celle de climat.
Le κλίμαξ désigne alors l’inclinaison du soleil par rapport à l’horizon et dessine ainsi une zone géométrique sans souci, comme le note Jean-François Staszak , de l’hétérogénéité de l’espace, non plus que des populations de vivants impliquées (qu’il s’agisse des plantes, des animaux ou des hommes).
On ne trouve pas non plus celle d’environnement. On pourrait certes à ce propos invoquer le περίεχον (littéralement : « ce qui occupe la périphérie »), mais le περίεχον, au sens technique du terme, n’intervient chez Aristote que dans la définition du lieu (τόπος) d’un objet donné. Or le lieu de quelque chose est constitué par la limite interne du contenant qui est autour, le modèle étant le vase qui contient l’eau.
Limite interne du contenant donc et non pas limite externe de l’objet, ce qui permet à Aristote de dire que le lieu n’est pas la forme de l’objet et de penser aussi que le changement de lieu n’altère pas la substance du dit objet, donc que lieu et objet contenu sont distincts. Les stricts contours de l’objet par ce dans quoi l’objet est placé sont donc en cause quand on parle du περίεχον et nullement l’ensemble de ses conditions extérieures d’existence. Certes, on peut, comme le fait Ben Morison, lire dans Physique IV la distinction entre le lieu propre , c’est-à-dire le lieu qui n’entoure aucun autre objet que moi (l’air de cette pièce, par exemple), le lieu commun (l’univers où se trouvent tous les autres corps) et les lieux dérivés (qui ne sont pas les contenants immédiats du corps considéré (les murs de la pièce dans laquelle est l’air qui m’entoure, le bâtiment où se trouve la pièce, la rue du bâtiment, Florence etc.).
À la fin des fins, il y a le tout ou le ciel, qui n’est pas dans un lieu parce qu’il n’y a pas de corps pour l’entourer et que le vide n’existe pas pour Aristote . Mais, disons-le à nouveau, cet emboîtement, strictement topologique, n’est pas conçu comme un rapport de réciprocité ou d’échange biologique entre l’objet et ses lieux qu’impliquerait l’idée de milieu prise au sens d’environnement.
La notion de milieu qui pourrait revêtir ce sens-là n’est pas encore forgée. Il faudra attendre la deuxième partie du XVIIIe siècle pour qu’elle apparaisse à l’occasion de son passage du domaine de la mécanique chez Newton (il s’agit alors de rendre compte de l’action à distance d’individus physiques, en se référant à un élément transmetteur : l’éther) à celui de la biologie à partir de Lamark.
DOI: https://doi.org/10.36253/978–88–5518–160–0.02
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