Montesquieu: de l’esprit et des lois
From Firenze University Press Journal: Diciottesimo Secolo
Catherine Volpilhac-Auger
De l’homme d’esprit, que les sots sont incapables d’estimer à sa juste va-leur, à l’esprit général, qui anime une nation et lui donne son unité à travers les âges, brillant ici, profond là, l’esprit est partout et nulle part, tant ce terme est polysémique; mais la notion d’esprit n’en tient pas moins une place importante chez Montesquieu.Ce recueil d’articles s’attache à en repérer les formes saillantes (les saillies?) et les traits récurrents, pour mieux délimiter l’usage qu’il en fait. L’esprit est d’abord au sens le plus large ce qui oriente l’action des hommes et les détermine. Frappé de l’esprit de vertige, l’être humain apparaît dans toute sa faiblesse. Comme le montre Stéphane Pujol (Intolérance religieuse et «esprit de vertige». La Lettre LXXXIII des Lettres persaneset l’invention d’un nouveau paradigme), c’est l’«esprit de vertige» issu de la Bible et martelé par Bossuet que l’on retrouve en écho dans les Lettres persanes: caractériser ainsi l’esprit révèle qu’au-delà des circonstances historiques, l’intolérance se dénonce elle-même; il faut pour cela renverser le sens même de cette dénonciation, comme le fait Montesquieu.L’esprit est aussi de manière plus précise la caractéristique d’une société brillante, le Paris du XVIIIe siècle, celui des Lettres persanes, mais aussi celui où vit Montesquieu. Qu’est-ce pour luiqu’un trait d’esprit, et à quoi sert-il? Est-on ou devient-on homme d’esprit?Ces questions font ressortir la dimension éminemment sociale du phénomène. Myrtille Méricam-Bourdet («Je disais…»dans mes Pensées: théorie et pratique de l’esprit) montre comment Montesquieu dans les Pensées met constamment en scène l’esprit, et en explore ainsi la dimension sociale et historique (qu’est-ce que l’histoire de l’esprit humain?) pour en souligner l’aspect compréhensif, mais aussi paradoxal. L’homme d’esprit, qui voi loin et bien, ne représenterait-il pas une forme d’idéal? Quels en sont les modèles? C’est à ces aspects que s’attache Catherine Volpilhac-Auger, pour y voir la matrice même de l’esprit des Lumières.
Au-delà de l’individu, l’esprit est aussi ce qui fait d’un peuple une nation, ce qui lui donne consistance et l’anime. L’esprit des institutions se distinguet il decelui des hommes? Il devient en tout caschez Montesquieu une clé de compréhension, à la fois pour saisir globalement le «système» qu’il construit, et comme notion opératoire qu’il crée pour comprendre les sociétés humaines. L’espritest justement ce qui permet de dépasser le particulier ou le littéral pour accéder à un niveau supé-rieur de généralité, mais aussi d’intellexion: condition nécessaire pour prétendre identifier l’esprit des lois. L’esprit général, cette notion absolu-ment centrale chez Montesquieu, prend ici tout son sens, comme le montrentJoshua Bandoch (The Politics of esprit in «De l’esprit des lois»), qui en traite comme d’un principe fondamental d’explication, etDiego Vernazza (L’esprit d’une nation, et son objet), qui l’envisage plus spécifiquement comme principe politique. C’est là le cœur même de la pensée qui fonde L’Esprit des lois.Esprit de Montesquieu, es-tu là
DOI: https://doi.org/10.13128/ds-20625
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