Polarisation ecclésiale et dynamique sociale. À propos des groupes d’habitants dans le haut Moyen Âge

From Firenze University Press Journal: Reti Medievali

University of Florence
4 min readJun 20, 2024

Michel Lauwers, Université Côte d’Azur

L’histoire des “communautés de village” du haut Moyen Âge, qui a suscité depuis le XIXe siècle l’élaboration de théories et de concepts toujours influents dans les sciences sociales, est aujourd’hui profondément renouvelée par la recherche archéologique. Les données matérielles livrées par les fouilles — que peut souvent éclairer, au prix de quelques relectures, la documentation écrite — concernent la gestion du sol, la mise en place d’aires de production et de stockage, ainsi que l’institution de lieux partagés qui ont cristallisé nombre de pratiques sociales. Alors que s’était imposée dans les travaux d’historiens de la seconde moitié du XXe siècle l’image de communautés d’habitants consti-tuées dans le cadre de la seigneurie,2 les informations désormais disponibles manifestent des dynamiques sociales et spatiales qui paraissent s’inscrire dans une plus longue durée. Dans les pages qui suivent, après avoir évoqué di-vers types d’aménagements qui attestent le développement, au cours du haut Moyen Âge, d’usages collectifs, je m’attache aux processus de “polarisation” qu’ont alors exercé tout particulièrement les églises, les cimetières et les es-paces annexes ; je m’interroge enfin sur les acteurs sociaux qui ont participé à ces dynamiques sociales et spatiales.

  1. Structuration du sol, aménagements collectifs et aires spécialisées

Le système de peuplement le plus courant dans les premiers siècles du Moyen Âge consiste en un habitat plutôt dispersé, qui prend la forme de “fermes” isolées ou de réunions de “fermes” souvent qualifiées de “hameaux” par les archéologues. Ces ensembles généralement composés de plusieurs noyaux connaissent au fil du temps des réaménagements, des déplacements et des réaffectations. Leur éclatement relatif n’exclut toutefois pas des modes d’organisation collective que manifeste notamment la trame dans laquelle s’inscrivent bâtiments et réserves, jardins et champs. De récentes enquêtes archéologiques et archéo-géographiques — encore peu nombreuses pour le haut Moyen Âge, elles ont notamment été menées dans la partie septentrio-nale de la France actuelle — ont mis en évidence, sur plusieurs sites, la créa-tion de chemins et de parcelles plus ou moins régulières, marquées par des fossés ou clôtures, parfois associés à des talus et à des haies, s’articulant les unes aux autres et formant des réseaux. Ce genre d’aménagement indique as-surément une gestion collective de l’espace vécu. Il s’inscrit certes souvent dans le prolongement d’aménagements remontant à la période antique, voire protohistorique, dont les structures sont alors réappropriées et remodelées.5Le site d’habitat de Serris “les Ruelles” (Seine-et-Marne), fouillé par Fran-çois Gentili, est ainsi organisé, aux VIIe et VIIIe siècles, à l’intérieur d’un ré-seau de fossés, attestant des creusements et des réaménagements successifs, qui délimitent plusieurs parcelles, parfois encloses, organisant plusieurs sec-teurs : habitat aristocratique (ou “ ferme domaniale ”), maisons avec leurs annexes, lieu de culte et sépultures. Le tracé peu orthogonal des enclos, qui les distinguent de ceux des périodes précédentes, continue ensuite à évoluer, en rapport avec la présence aristocratique et l’espace cultuel et funéraire. À Villiers-le-Sec (Val-d’Oise), ce sont aussi des fossés au tracé complexe, curvi-ligne, qui délimitent différents secteurs qui se transforment de même entre le VIIe siècle et l’époque carolingienne.6 Le site de Montours (à une cinquante de km au nord de Rennes) est quant à lui constitué, entre le VIIe et le Xe siècle, de trois noyaux distants d’environ 200 m reliés par des chemins. La fouille par Isabelle Catteddu de l’un de ces noyaux sur une dizaine d’ha (“Le Teilleul”) a fait apparaître une cinquantaine de fossés, datés principalement des VIIIe et IXe siècles, et l’organisation d’une vingtaine de lots quadrangulaires, reliés par des passages, dont la destination a régulièrement changé au fil du temps. À Châteaugiron (“La Perdriotais”, à 15 km au sud-ouest de Rennes), fouillé sur 25 ha, c’est entre le VIe et le Xe siècle que deux ensembles habités, séparés par un espace boisé, distants de 200m, sont également insérés dans un maillage de parcelles quadrangulaires. Différents chemins, empierrés pour certains, permettent la circulation entre les lots habités, l’accès aux champs et à divers secteurs qui se spécialisent à la fin du VIIIe siècle (travail des cé-réales, cuisson des aliments, conservation des denrées). Sur le premier site (10 ha), les fossés délimitent une trentaine de parcelles de dimension à peu près régulière, sur lesquelles deux nouvelles fermes apparaissent aux VIIIe et IXe siècles, formant un hameau. Sur le second site (4 ha), elles se développent à l’intérieur d’une quinzaine de parcelles.

DOI: https://doi.org/10.6093/1593-2214/10540

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