Quand la nuit vient à être plus riche que le jour. Pierre Deffontaines et la lutte contre le rythme nycthéméral

From Firenze University Press Journal: Bollettino della Società Geografica Italiana

Antoine Huerta, Centre de recherches en histoire internationale et atlantique, Universitè de La Rochelle, France

Pour Rémy Knafou, la géographie doit prendre garde à ne pas s’enfermer « dans la conception étroite d’une géographie “de quelque chose”, du tourisme, comme l’on fit une géographie du sommeil ou une géographie du blé dur » (Knafou 1997). La référence est assez explicite à l’un des derniers textes publiés par Pierre Deffontaines : Introduction à une géographie du sommeil et de la nuit.

Dans ce texte, le géographe catholique Pierre Deffontaines considérait la nuit comme une composante essentielle de la vie des humains et, à ce titre, il fallait en interroger la géographie (Deffontaines 1966, 1055). Avant lui, peu de géographes s’étaient intéressés à cet aspect spécifique de la géographie humaine. Tout au plus quelques références très générales dans les ouvrages des grands maîtres, dont ceux de son mentor Jean Brunhes.

Cette géographie de la nuit qu’il publie alors trouve son origine dans une vision complexe de la géographie où les humains luttent sur la terre pour la prise de contrôle de cette dernière. Une forme de cosmologie où les batailles nocturnes étaient parmi les dernières que l’espèce humaine devait mener. On en trouve des traces dans d’autres textes qui viennent préparer, puis compléter, cette perspective.

Ce géographe qui mena sa carrière à l’étranger (Bré-sil, Canada, Espagne) eut fort à faire pour défendre ses positions en France (Delfosse 1998 ; 2000 ; Lostanlen 2008 ; Ferretti 2014). Il fut bien souvent rejeté par l’académie et ses sommités — plus précisément ses géographes (Ginsburger 2014) — et put développer une œuvre originale grâce à ses travaux à l’étranger. Cet article se situe donc à la croisée de l’histoire de la géographie et de la biographie scientifique, tant ce géographe forme un cas d’étude stimulant pour le sujet qui nous intéresse, celui de la nuit géographique.

Ainsi, cette géographie de la nuit tient une place particulière et novatrice dans la carrière de Pierre Deffontaines : il commence à la développer précocement et la finalise à la fin de sa carrière, sous forme d’une introduction à une géographie de la nuit et du sommeil (Deffontaines 1948 ; 1966).

Est-ce à proprement parler un enfermement qui s’établit dans sa pensée lorsqu’il écrit la nuit ? Notre hypothèse est qu’il s’agit plutôt d’une extension du domaine de la géographie et, plus précisément, de l’affrontement et du combat : lutte des humains contre la nuit et ses froidures, mais également, comme un jeu de miroirs, la lutte d’une pensée dans un cadre épistémologique donné, souvent hostile.

Comment installe-t-il cette pensée et comment s’articule-t-elle au cadre plus général qu’il met en place ? Cet article vise donc à écrire l’une de ces formes de pluralité géographique qu’évoquait Marie Claire Robic à la suite de Jean-Louis Tissier (Pinchemel 1979 ; Delfosse 2006). Afin de présenter ses principaux textes sur la géographie de la nuit, nous apprécierons comment Deffontaines invente une forme de roman géographique faisant la part belle au récit, inscrivant ses analyses dans une cosmologie générale. La publication de Géographie et religions puis de L’ homme et l’ hiver au Canada en marquent le commencement. Le déroulement chronologique de la structuration de cette pensée s’affirme autour de deux temps, à partir de ses expériences canadiennes, à la fin des années 1940, puis au début des années 1970.

Deffontaines pose en premier lieu les bases de cette réflexion avant de la formuler, plus explicite-ment, intégrant plus encore dans sa vision du monde, sa Géographie du sommeil et de la nuit. Nous en évaluerons la manière.

DOI: https://doi.org/10.13128/bsgi.v1i2.516

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