Un changement radical dans la consommation de tissus par la royauté et son milieu (1293–1504): de la laine au lin et à la soie

Nadia Fernández de Pinedo, Autonomous University of Madrid

Maria Paz Moral, University of the Basque Country

Emiliano Fernández de Pinedo, University of the Basque Country

Les sources, bien que diverses — inventaires, ventes aux enchères, limitations des prix (taxes), droits de douane, interdictions… — sont limitées. Les documents et tissus conservés, dans le cas des soies ainsi que dans les lainages de moyenne ou bonne qualité, sont généralement abondants. Ce n’est pas le cas des tissus bon marché, constitués par des fibres végétales — lins, chanvre… — et certaines laines, bien qu’ils étaient beaucoup plus consommés et utilisés que les soies. Ces limites à la conservation des témoignages ne facilitent pas l’analyse de la diffusion de nouveaux tissus et des modes en dehors des groupes laïques privilégiés. Le ruissellement du haut vers le bas de la mode des vêtements chers vus semble évident; l’ostentation contrecarrant son prix. Mais en ce qui concerne les pièces intimes — chemises, draps de lit, matelas… — pas ou peu vues par les autres, les facteurs de rang social et de vanité ont été nuancés par leur prix élevé et leur faible exhibition.

D’autre part, les grâces et dons évitaient les vêtements non visibles et les objets destinés à un usage domestique, pour des raisons évidentes: la générosité et la munificence du donateur ne seraient alors pas appréciées par les autres. Les tissus usagés étaient offerts aux pauvres ou, en temps d’épidémie, détruits par le feu. Une infime partie aurait pu passer dans le marché d’occasion. D’ailleurs, à partir du moment où le papier a remplacé le parchemin, l’utilisation de chiffons de lin ou de coton pour fabriquer celui — ci a nui sans aucun doute à la conservation de ces tissus. Il faut en outre ajouter le manque d’inventaires dans les cas des groupes à faible pouvoir d’achat. A ces limitations s’ajoute l’absence générale de valorisation monétaire parfois supplée par la vente aux enchères. Les droits de douane, les péages, ou les taxes permettent aussi d’analyser les variations de prix relatifs et l’apparition de nouveaux tissus. Mais il demeure difficile de saisir l’autoconsommation ou la vente entre voisins à l’insu de la fiscalité municipale, noble ou royale (Piponnier 1976, 424–5).

Les rois et leur entourage achetaient des tissus importés, ce qui n’était pas le cas de la grande majorité de leurs sujets. Certaines sources privilégient la mobilité ou les transformations parfois rapides par rapport, non pas à l’immobilité mais aux lents changements dans un cadre légal assez rigide pas toujours accepté. La comparaison entre les tissus importés, achetés par la royauté et son entourage, et ceux que nous trouvons dans les registres de douanes met en évidence les importantes différences en qualité et en prix. Les comptabilités tenues par les douaniers permettent parfois de saisir l’évolution du goût dans les couches moyennes, qui s’habillaient surtout avec des tissus autochtones mais aussi avec de tissus étrangers pas trop chers peut– être pour des événements précis. Ce serait le cas des tissus importés par San Sebastián et Fuenterrabía en 1293 (Fernández de Pinedo 1982, 68; 71–3).

Dans des recherches précédentes, nous avons essentiellement utilisé des documents qui recueillaient l’achat de milliers de mètres des tissus pour la royauté et son cercle le plus proche. Documents dans lesquels on fournissait la date, le vêtement, la fibre, le prix, les mesures… Ce genre de source ne semble pas avoir existé ou survécu pour analyser la consommation de groupes sociaux à revenu beaucoup plus faible. Il faut faire appel aux dons, aux inventaires, aux enchères ou aux dots dont les données tendent à être beaucoup moins ajustées à la consommation réelle. La mode n’était probablement pas le moteur exclusif du changement. La technologie et la baisse des coûts de production ont pu avoir un poids considérable dans le remplacement de certains tissus. Les modifications dans les tissus peuvent être encouragées en raison des modes, en particulier celles opérées dans les couches sociales supérieures (effet de demande).

Cependant, le changement technique et la diminution des coûts répercutés sur les prix ont pu être la cause du remplacement de certains tissus par d’autres (effet d’offre). Il y a quelques exemples historiques fort connus. Donc, mode mais aussi diffusion de nouvelles fibres et évolutions techniques avec des effets sur les prix. A quoi il faut ajouter une éventuelle baisse du coût des matières premières et le recours à une main d’œuvre qualifiée (Farmer 2017; Navarro 1997; Ladero 1993, 132). Avec ce type de sources, ce n’est que de manière très limitée qu’il est possible d’approcher la structure de consommation des fibres. Dans cette recherche, nous nous sommes principalement attachés à essayer de spécifier la diffusion de tissus coûteux, plus exactement des holandas et des soies. Nous n’avons pas cherché explicitement à analyser la structure de la consommation par type de fibre mais plutôt à voir la diffusion « vers le bas » de l’achat de toiles de qualité et de vêtements de soie au lieu de ceux en laine: de la royauté à la noblesse puis aux sujets urbains, ecclésiastiques… à travers quelques exemples concrets.

DOI: 10.36253/978–88–5518–565–3.09

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