Voltaire historien, Voltaire auteur de théâtre : son attitude face à la Corée

From Firenze University Press Book: East and West Entangled (17th-21st Centuries)

University of Florence
5 min readMay 13, 2024

Jong-Ho Chun, Sogang University, Korea (the Republic of)

Grande figure de la pensée des Lumières, Voltaire est célèbre comme auteur de contes philosophiques tels que Candide (1759), Zadig (1747) et bien d’autres, ainsi que de traités visant à combattre l’obscurantisme et le fanatisme religieux de son époque — ce qu’il nomme lui-même « l’infâme » — comme les Lettres Philosophiques (1734) ou le Traité sur la Tolérance (1763). Cependant, pour les Européens de son époque, Voltaire était avant toute chose un poète épique et dramatique. Pendant toute sa vie, il a été passionné de théâtre. Dans ce domaine il était un auteur prolifique, avec à son actif pas moins de cinquante-deux pièces, dépassant ainsi largement les trente-trois de Corneille ou les douze de Racine. Sa carrière littéraire commence officiellement par le triomphe de sa première tragédie, Œdipe (1718) — il est alors âgé de de vingt-quatre ans — et c’est surtout en qualité d’auteur dramatique que l’Académie française l’accueille en 1746. Enfin, le 30 mars 1778, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, lors de la sixième représentation de sa dernière tragédie, Irène, il est couronné par les applaudissements du public dans la salle du Théâtre-Français. C’est l’apothéose de sa carrière : « D’ailleurs, du vivant de Voltaire, le public mettait ses tragédies au même rang que celles de Corneille et de Racine. Bref, l’Europe des Lumières reconnaît en Voltaire son premier dramaturge » (Acke 1994, 231). Voltaire visait à réformer le genre théâtral. L’innovation se trouve surtout dans le choix des thèmes représentés. Contrairement aux auteurs du classicisme français qui voulaient limiter le sujet ou la scène de leurs pièces aux Écritures saintes ou à l’Antiquité gréco-romaine, Voltaire tente d’élargir le contexte historico-géographique de ses tragédies. La scène de Zaïre (1732) se déroule à Jérusalem pendant les Croisades, Adelaïde de Guesclin (1734) en France pendant la Guerre de Cent ans, Alzire où les Américains (1736) au Pérou pendant l’invasion espagnole, Zulime (1740), Le Fanatisme ou Mahomet le prophète (1741) en terre d’Islam, Sémiramis (1748) et Les Guèbres ou la tolérance (1768) en Orient antique. Toutes ces pièces reflètent bien l’intérêt personnel de l’auteur pour l’histoire et la géographie mondiales et pour la diversité culturelle du monde. Parmi elles, L’Orphelin de la Chine, qui eut un grand succès le 20 août 1755 au Théâtre de la Comédie-Française, est la première tragédie française sur la Chine. Dans cette pièce se trouve une mention de la Corée qui nous intéresse. L’élargissement des thèmes entraîne un renouvellement de la mise en scène avec notamment un accroissement du réalisme dans la représentation des coutumes. Ces innovations étaient la raison principale du succès de ces pièces à l’époque. Tout cela sans perdre de vue que Voltaire utilise le théâtre pour véhiculer ses propres idées philosophiques, comme nous allons le voir.

Voltaire historien

La contribution de Voltaire à l’évolution de la conception et de l’écriture de l’histoire — avec Le Siècle de Louis XIV, l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations et d’autres ouvrages — a également été considérable. Il ne faut pas oublier qu’il était historien officiel du roi et qu’il fut nommé « historiographe de Sa Majesté » par Louis XV le 1er avril 1745 : un rôle qu’il exerce jusqu’au 25 juin 1750, date à laquelle il part pour Berlin, répondant à l’invitation de Frédéric II, roi de Prusse. Il semble cependant avoir ressenti des limites dans l’exercice de cette fonction. Ainsi élaboret-il sa propre conception de la figure de l’historien, en refusant tout d’abord de donner aux « historiographes » le titre d’« historiens » lorsqu’il définit leur fonction :

HISTORIOGRAPHE — Titre fort différent de celui d’historien. […] Peut-être le propre d’un historiographe est de rassembler les matériaux, et on est historien quand on les met en œuvre. Le premier peut tout amasser, le second choisir et arranger. L’historiographe tient plus de l’annaliste simple, et l’historien semble avoir un champ plus libre pour l’éloquence (Voltaire 1877–1885a, 19, 371–72).

Refusant l’attitude des simples rédacteurs d’annales, il demande donc aux historiens une certaine liberté de choisir et d’arranger. L’histoire est aussi pour lui une discipline dans laquelle peuvent se manifester des compétences rhétoriques et littéraires. Pour cela, il est nécessaire que les historiens fassent preuve d’esprit critique et philosophique :

Si on voulait faire usage de sa raison au lieu de sa mémoire, et examiner plus que transcrire, on ne multiplierait pas à l’infini les livres et les erreurs ; il faudrait n’écrire que des choses neuves et vraies. Ce qui manque d’ordinaire à ceux qui compilent l’histoire, c’est l’esprit philosophique : la plupart, au lieu de discuter des faits avec des hommes, font des contes à des enfants (Voltaire 1957a, 43).

Il réfute dans ce passage l’autorité des anciens en demandant comment « un homme de bon sens, né dans le XVIIIe siècle », « dans ce siècle éclairé » peut croire aux « fables » d’Hérodote et à celles de l’Antiquité de façon générale. Pour cette raison, il critique Charles Rollin, qui avait compilé ces fables anciennes sans esprit critique. Il propose donc de « discuter des faits avec des hommes » et de se consacrer à l’histoire moderne (Voltaire 1957a, 43). Dans son ouvrage intitulé Nouvelles considérations sur l’histoire, il précisera donc les bases d’un nouveau champ historique. Tout d’abord, il attend dans « la manière d’écrire de l’histoire ce qui est arrivé dans la physique » (Voltaire 1957b, 46). Pour lui, il devrait être possible de faire de l’histoire une science analogue à celle de Newton, en ramenant les faits aux lois. Au lieu de ramasser et de rassembler le fatras des événements particuliers, Voltaire cherche à « connaître le genre humain dans ce détail intéressant qui fait aujourd’hui la base de la philosophie naturelle ». Pour lui, « l’objet est l’histoire de l’esprit humain, et non pas le détail des faits presque toujours défigurés » (Voltaire 1957b, 46). Il élargit donc considérablement les horizons de l’histoire. À cette « connaissance d’une utilité plus sensible et durable » (Voltaire 1957b, 47), qui n’est plus « une faible partie de l’histoire des rois et des cours », correspond un ensemble constitué par les facteurs économiques et sociaux, les arts, ainsi que par le « changement dans les mœurs et dans les lois ».2 Il faut « incorporer avec art ces connaissances utiles dans le tissu des évènements » (Voltaire 1957b, 48).

DOI: 10.36253/979–12–215–0242–8.08

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